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Foyer Edwige Feuillere
21 septembre 2007

Philippe NOIRET

Philippe NOIRET nous a accordé un entretien pour les 4 Saisons (N° 273 - Déc. 2005) "Spécial Paul Claudel" (1868-1955) : Mémoires d'acteurs

Numéro des 4 Saisons disponible - Tel : 01 53 34 03 31

« Peut-être que j’enjolive un peu ! »

Michel Pilorgé
Philippe, nous sommes dans votre loge au théâtre de la Madeleine où vous jouez Love Letters avec Anouk Aimée. Cependant vous êtes beaucoup plus connu par le cinéma que par le théâtre. Serait-ce un retour aux amours d’antan, un retour au Théâtre ?

Philippe Noiret
C’est un hasard. Avant Les Côtelettes de Bertrand Blier, moi le théâtre ne me manquait pas du tout. C’est la raison pour laquelle je suis resté trente-quatre ans sans en faire. Et il y a eu cette occasion, cette belle occasion. D’ailleurs un peu provoquée. Tout d’un coup, il n’y a plus de question. On se dit : «Je veux le jouer et je ne veux surtout pas que quelqu’un d’autre le joue». Pour être tout à fait honnête, cette expérience m’a enchanté. Plaisir du théâtre. Sentiment de liberté, de continuité. On fait sa mise en scène soi-même à l’intérieur de la mise en scène. On est son propre chef, son patron. Bonheur. Vous en avez été le témoin Michel. Un bonheur renouvelé tous les soirs. Autre chose, une situation qu’il n’y a pas de raison de cacher ni d’enjoliver. Je reçois beaucoup moins de propositions de cinéma. Ou pas très tentantes. En revanche par le réamorçage des  « Côtelettes », me sont arrivées d’autres propositions.

Ce n’était pas à défaut de… quel qu’ait été le terrain cinématographique du moment, si j’avais lu, L’homme du hasard de Yasmina Reza j’aurais dit : "Oui je le joue"
Nouvelle expérience, nouveau grand plaisir. Découverte de Frédéric Bellier-Garcia, metteur en scène de grand talent, homme épatant selon mon cœur. J’ai eu ce coup de nez. Et l’enchantement aussi de jouer avec Catherine Rich. Le miracle de cette jeune et jolie femme qui s’incarne dans ce vieillard avec une précision quasiment médicale. Ensuite, ma petite aventure « Victor Hugo » à la Comédie des Champs Elysées : deux mois et demi plein dans un théâtre de 1000 places, une tournée de 100 représentations. Ça a été très gratifiant.
Entre-temps le film de Michel Boujenah, formidable ! Professionnellement une réussite, humainement des copains, des enfants. On a déjeuné ensemble encore hier.

Michel Pilorgé : Jean Vilar plus particulièrement Jean Vilar quand il travaille sur Paul Claudel, sur La Ville, qu’est-ce que cela vous rappelle ?

Philippe Noiret : Cela me rappelle des moments parmi les plus beaux que j’ai vécu. (J’ai travaillé sept ans avec cet homme) Pour moi, Jean Vilar est un phare. Il ne m’a jamais déçu. Ce fut un honnête homme.
Grand innovateur au théâtre (ils ne sont pas tellement nombreux) avec une conscience politique. Une conscience pas brandie, pas revendiquée. Simplement il agissait en accord avec cette conscience-là. Ni marxiste ni communiste. C’était un démocrate et un républicain qui a fait le théâtre populaire pour tous et qui a réussi ! On a dit : «Il n’a pas vraiment amené la classe ouvrière au théâtre, voire… ». Il a amené au théâtre des tas de gens qui n’avaient jamais été au théâtre de leur vie, et pas avec des petits textes. Satisfaction sur toute la ligne !

En ce qui concerne La Ville, je n’en ai pas un souvenir très précis. On a beaucoup parlé pour arriver à y voir un peu clair. Pour rendre le texte abordable. Vilar a fait énormément de coupures. Malgré tout cela restait un spectacle long, ardu, mais assez beau. Et puis il y avait Wilson, Vilar, Cuny, Casarès et moi. Ça dégageait.

La seule chose qui me soit apparue de façon évidente (on a travaillé dans ce sens-là) : c’est la respiration de Claudel qui donne signification, qui donne sens à son texte. Si vous êtes en accord avec la respiration, avec sa ponctuation, le sens apparaît. Il n’a pas mis ses virgules ou ses points-virgules au hasard.

Michel Pilorgé : On dit ça de Feydeau, habituellement ?

Philippe Noiret : On peut le dire de Claudel. La respiration, donc la ponctuation.

Michel Pilorgé : Et à travers cette discipline, passe sa pensée ?

Philippe Noiret : C’est logique. Cela devrait toujours être comme ça. Cela ne m’est pas apparu tout d’un coup Je ne me souviens pas que Vilar ait insisté là-dessus, mais c’est là où nous en sommes tous arrivés, je crois.
Le soir de la générale, Vilar m’avait laissé un petit mot dans ma loge (ce n’était pas quelqu’un qui vous cirait les pompes) : «Cher Noiret, je suis content. La soirée est importante, je suis sûr que tout se passera bien. Vous avez fait un bon travail ! Amicalement. Votre Jean Vilar». Post-criptum : «N’oubliez pas que l’éloquence d’Avar est plus proche de Rimbaud que d’un ministre radical-socialiste».
Ça m’a éclairé. Avar est ce poète qui devient dictateur. Il y avait un grand discours à la fin de la pièce, un discours un peu politique et je risquais de tomber dans une éloquence platement politique.

Michel Pilorgé : Un jour, vous m’avez donné à lire un recueil des notes de service du T.N.P.
Deux choses m’ont beaucoup touché : La 1ère «Le mur ne doit pas faire rire ses camarades», signé Jean Vilar

Philippe Noiret : Oui, oui, le mur, c’était moi !

Michel Pilorgé : L’humilité du comédien et en même temps sa grandeur.

Philippe Noiret : J’ai entendu un jour Ivernel à France Inter, il était venu parler d’un spectacle qu’il jouait : il a fait quarante-cinq minutes sur Vilar. À la fin Jean-Luc Hess lui dit : «On n’a pas beaucoup parlé de votre spectacle». «C’est votre faute, il ne fallait pas me parler du T.N.P.».

Michel Pilorgé : Une deuxième chose m’a frappé dans ce recueil de notes de service : «Mes amis, respectez les costumes, nous jouons avec l’argent des contribuables», signé Jean Vilar.

Philippe Noiret : Bruno Cremer et Jean-Pierre Marielle tout frais sortis du Conservatoire avaient été engagés pour jouer des rôles assez importants dans Richard II. On était à Suresnes. Vilar descend les escaliers pour entrer en scène. Bruno et Jean-Pierre étaient assis sur les marches en ciment avec leur costume de scène.
Vilar dit en passant : «On ne s’assied pas par terre avec des costumes de scène». Ils n’ont pas été virés, non, mais ils n’ont pas fait la reprise. Il ne les pas ré-engagés. C’était comme ça.

Vilar a été la chance de ma vie. J’avais vingt ans. J’ai joué les plus belles pièces. J’ai joué dans le monde entier : à New York, à Moscou, à Rome, à Stockholm, à Rio de Janeiro, à Santiago du Chili. On partait tous les ans deux ou trois mois. On allait tous les ans à Avignon. On gagnait notre vie, modestement certes, mais on la gagnait. Quand on était en tournée, on économisait notre mois. On vivait des défraiements.
Encore une petite anecdote Claudel. Au cours avec Delphine Seyrig. on a conçu un projet, monter L’Echange. Il y avait Maurice Garrel qui aurait joué Louis Laine ; peut-être que j’enjolive un peu mais je crois qu’il y avait Pascale de Boysson pour Marthe, vous savez celle qui épouse l’Indien. Et bien sûr votre serviteur en Thomas Pollock-Nageoire.

Michel Pilorgé : Pourquoi ne l’avez-vous pas fait ?

Philippe Noiret : C’était un projet d’étudiant et comme beaucoup de projets, c’est resté un projet.
La Ville est sans doute la plus absconde de toutes les pièces de Paul Claudel. Lui-même s’en souvenait mal. Vilar m’a dit que quand il est allé le voir pour lui demander s’il pouvait monter la pièce, Claudel a répondu : «C’est là où l’héroïne s’appelle, Lâla ?». Vilar a dit « Oui, c’est ça ». «Lâla», a–t-il soupiré, «Faites-en ce que vous voulez !» d’un air de dire, «Qu’est-ce que j’ai eu dans la tête pour écrire ça … ».

Propos recueillis par Michel Pilorgé

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