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Foyer Edwige Feuillere
2 janvier 2008

Numéro 281 Décembre 2007

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L’archétype de toute création est La Création.

L’archétype de tout créateur est Le Créateur : Yahvé - Dieu. Est-ce à dire que tout créateur est père de sa création à l’exemple de Dieu le Père ? Il me semble qu’il en est plutôt le résultat. Il me semble qu’un créateur, un artiste, est engendré par son œuvre et que ce qu’Il EST (devenu), est le résultat de ses gestes créateurs, gestes qu’il accomplit mais dont il n’est qu’en partie responsable. (La partie technique : la surveillance du travail). Le reste du travail c’est-à-dire l’essentiel (qui s’accomplit en l’œuvre), l’âme de sa création est en lui depuis le commencement. Le germe attendait l’étincelle. D’y mettre le feu est sa seule responsabilité.

En accomplissant cette œuvre (de quelque nature qu’elle soit), il accouche de ce qui était en lui. Il devient lentement lui-même, n’ayant terminé son œuvre qu’à la porte de sa vie.
Dans ce numéro des 4 Saisons, nous allons vous faire connaitre des créateurs qui ont fait de leur vie une œuvre, qui ont travaillé à cet accouchement d’eux-mêmes ; et par cette seconde et lente naissance ont accédé à une signification féconde plus importante qu’eux-mêmes, si riche que soit leur personnalité. Ils ont ouvert une fenêtre sur l’univers d’où nous, public, pouvons voir plus loin, plus large, plus haut. Ils ont comme dit l’Evangile porté du fruit pour une humanité en souffrance.
C’est le cas de Georges Le Roy, l’initiateur – l’Inventeur – le créateur de L’Union Catholique du Théâtre.
À tout seigneur tout honneur, il occupe le feuillet central de la revue.
Vous rencontrerez aussi le très contesté Jean-Luc Jenner, créateur incontestable d’un Espace théâtral où des dizaines d’artistes, comédiens et metteurs en scène peuvent s’exprimer.
Il y a aussi une découverte : Carolyn Anderson, une Américaine de Paris qui a, en somme, réinventé, recréé la direction d’acteurs pour (je cite) se faire raconter des histoires qu’elle aime comme elle désire qu’on les lui raconte. Vous croiserez également un sculpteur qui a le même nom qu’un acteur -bien connu – pas étonnant puisqu’ils sont frères ; et puis aussi les réflexions pointues de nos collaborateurs habituels : Christine, Philippe, Robert, Annik, Gaston.
C’est à vous tous mes amis que ce numéro est dédié, vous qui avez choisi une vie d’artiste, une vie de créateur, une vie à la découverte en vous de l’univers.

Le Président


JEAN-LUC JEENER, l’addition des contraires

Quand on pénètre dans le hall du T.N.O, ce n’est pas exactement l’image de la réussite qui vient à l’esprit : c’est gris-marronasse,  c’est lépreux, la peinture date sans doute de l’époque ou ce lieu était un ciné porno. Un morceau du plafond pandouille dans un coin avec des seaux en dessous pour la récupération des dégoulinements. Il y a des avachis sur dans des canapés hors d’âge du coté bar qui ne propose à boire que l’eau d’un  antique  robinet  des jeunes, des maigres, des gros, des connus, des inconnus, des belles très belles et des vieux très vieux, des jumelles qui se ressemblent vraiment, des un peu politiques, des barbus conformistes, des bien propres sur eux, des franchement patibulaires et une cabane en bois décentrée pour la vente des tickets avec des individus qui y entrent et qui en sortent  comme si l’argent récolté n’avait pas de propriétaire ; comme si c’était un bénéfice personnel pour les encaisseurs…
Mais surtout, surtout des affiches partout, des propositions de spectacles partout. Tous ces spectacles, ces lectures, ces poétiques sont ou ont été proposés ici (ou ailleurs,) dans ce lieu improbable où ça grouille, où ça cause, où c’est enthousiaste, où ça aime où ça hait où ça vit.
Au milieu de cet univers de contradictions, J.l. Jeener apparaît sautillant, moitié anguille moitié faune à pieds de chèvre, vieux comme son théâtre, vieux comme Noé sur son Arche éprouvée et jeune d’une énergie déplaçant les montagnes, figure étonnante d’un panthéon artistique au-delà du temps.


Michel Pilorgé : J. L. Jeener, c’est un nom qui éprouve pas mal de monde. Certains  trouvent que c’est un type formidable, un intellectuel passionné, un homme courageux et généreux et même un mystique. Mais d’autres disent : « Jean Luc Jeener ?  C’est simplement un escroc ! »  Et toi, qui dis-tu que tu es ?
 

Jean-Luc Jeener : Un escroc, oui ! Certains ajoutent que je possède au moins trois maisons de campagne. C’est tout à fait légitime. Je fais beaucoup de  choses, je suis donc très critiqué. Je suis directeur de théâtre et metteur en scène, je suis journaliste et critique et je suis aussi comédien. Selon la tradition française, ça ne colle pas. Et puis tu sais, c’est très difficile de comprendre pourquoi et comment un  théâtre  comme celui-ci fonctionne. Et pourtant c’est bien  simple !

D’abord le pourquoi. Quand j’ai commencé à faire du théâtre  à 16/17 ans, j’ai très vite compris la nature du problème. Le piège de l’argent. J’ai compris que si je ne faisais pas attention, pour monter Le Roi  Lear ou Hamlet, j’allais très vite m’engluer dans des problèmes insurmontables. J ‘ai donc organisé ma vie en fonction de cette analyse et j’ai donc essayé de réunir autour de moi des gens du même point de vue.Pour ceux qui n’ont pas le même point de vue, je suis évidemment un salaud, un escroc, un voleur etc.…
Le T.N.O est organisé pour offrir cette année par exemple, trente-quatre pièces de Shakespeare, ce que la Comédie Française elle-même ne peut pas faire. Ici les comédiens, les metteurs en scène, nous tous, nous avons remplacé la production de l’argent  que nous n’avons pas par la production du travail. Nous n’avons pas d’argent, ni producteur, ni subventions, nous n’attendons personne. Nous sommes nos propres forces de travail. Pour moi c’est l’honneur suprême de l’artiste. Mais à côté de ça, nous devons absolument penser en  professionnel. D’où l’alternance qui n’empêche personne de faire autre chose. C’est pensé pour ça. Pour moi être professionnel veut dire engager sa vie pour quelque chose. Ensuite qu’on survive en donnant des cours de philo ou en faisant de la pub, je n’en ai rien à fiche.
En outre, je suis profondément chrétien, j’ai donc essayé de penser les choses dans le respect de l’Individu. Je ne me suis jamais pensé comme le patron. Pour moi les hommes sont des égaux, je m’adresse à des égaux  qui choisissent en liberté (à la condition expresse qu’ils puissent réellement choisir). Au Nord-ouest, on ne trompe pas les gens.
Le Nord-Ouest est un lieu de création, pour des créateurs qui décident ensemble de donner quelque chose à la communauté humaine. J’ai pensé à faire de la politique, mais le théâtre est selon moi, le seul art qui montre l’homme dans sa globalité.
Notre société est en danger de déshumanisation et, au théâtre, on montre notre frère humain. On le donne à voir, à entendre, à comprendre au spectateur, son semblable, son frère. Bien sûr ça génère des difficultés ahurissantes. C’est un véritable choix d’engagement avec des gens qui sont dans le même état d’esprit que soi. Et quand ces gens-là dominent leur sujet, c’est-à-dire choisissent, c’est formidable. En ce moment je monte Hamlet avec Emmanuel Dechartre. (Ça lui coûte de l’argent de travailler au Nord-Ouest, c’est un vrai choix). Et moi pour des raisons purement artistiques, je choisis de le jouer dans la petite salle donc de refuser du monde.

Parmi tous ces métiers : comédien, auteur, critique, etc. lequel considères-tu comme le plus essentiel à ta vie ?

Jean-Luc Jeener : Très jeune, je pensais être écrivain, mais très vite je me suis senti d’abord metteur en scène. En fait j’ai besoin de cet équilibre entre la création solitaire (écrire des pièces) et mettre en scène. Ces deux choses me sont absolument vitales.

Tu viens d’écrire une pièce, mais tu mets en scène un Shakespeare. N’est-ce pas illogique ?

Jean-Luc Jeener : Pas nécessairement, les deux sont vraiment habités.
 
Il y a un côté monastique dans la façon dont tu t’engages au théâtre …

Jean-Luc Jeener : Mais pas seulement au théâtre : je suis chrétien, c’est fondamental. Être chrétien est extrêmement compliqué intellectuellement. Je ne suis ni bouddhiste ni musulman.  Je crois que Dieu s’est incarné en Jésus-Christ ; ce qui pour Saint Paul est une folie. Et bien au théâtre quand tu es comédien, tu réalises en petit l’hypostase : quand tu es sur un plateau, tu es à la fois pleinement toi (avec tes problèmes d’impôt etc…) Et tu es totalement le personnage que tu incarnes. C’est une manière de comprendre l’incarnation. Ça aide à comprendre l’essence du Christianisme.
Un autre aspect fondamental sur lequel achoppent toutes réflexions, c’est le problème de la liberté. Au théâtre, tu as un début, un milieu, une fin. La pièce est écrite. Tu ne peux changer   la  mort de Richard III par exemple. Tu as travaillé avec un metteur en scène qui t’a dirigé très précisément. Et pourtant chaque représentation est différente. Tu circules à l’intérieur de ces contraintes avec une liberté absolue. C’est une manière d’approcher l’incarnation de Dieu.
Je suis fasciné par la liberté. La pratique théâtrale est magique. Amener un comédien à devenir un personnage est la chose la plus extraordinaire du monde. Je crois que l’on se doit au talent que l’on a reçu. Quand je suis en répétition, je sais que c’est vrai. J’ai le sentiment d’être vivant. Cependant la démarche n’est rien sans humilité.

Quel est l’avenir du T.N. O. ?

Jean-Luc Jeener : Il y a trois problèmes : le premier c’est l’achat du théâtre. J’ai fait une souscription pour acheter le théâtre qui a rapporté beaucoup : 150.000 euros. Mais la situation s’est compliquée par la mort du propriétaire et les exigences délirantes des successeurs. Le deuxième problème, ce sont les dettes (deux millions de francs). On doit de l’argent à toutes les caisses. Le troisième problème  est celui de la fiabilité d’un bail. Si je continue à payer le loyer, on est tranquille pendant quelques années. On ne peut pas être mis dehors, quoi qu’ils entreprennent. Au-delà de ça on essaye de racheter et d’être tranquille définitivement.

Des projets après Shakespeare ?

Jean-Luc Jeener : Il y aura Théâtre et engagement  (spirituel, artistique, politique) et plus tard soit Guitry si j’ai les droits soit Michel de Ghelderode. J’adore les deux….
 
Cette discussion et beaucoup d’autres idées échangées s’est déroulée dans un restaurant à côté du T.N.O, devant un solide repas arrosé de vin rouge roboratif,  car J. L. Jeener n’est pas un ascète, J. L. Jeener est un vivant. En le regardant manger une solide entrecôte, je voyais un presque hédoniste, en tout cas quelqu’un qui ne refuse pas les plaisirs que la vie apporte aussi à table.Il y avait aussi Isée, sa fille de sept ans, car J. L. Jeener est père et s’occupe  également de sa fille. Et pour tout dire, il ne voulait même pas me laisser payer l’addition selon la convention… Mais je suis aussi un peu obstiné.


Propos recueillis par Michel Pilorgé

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