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Foyer Edwige Feuillere
26 septembre 2007

Alberto VITALI-COLOMBAïONI

Alberto VITALI-COLOMBAÏONI, enfant de la balle, est passé par toutes les disciplines du spectacle : du monocycle au jonglage, du trapèze au décor, de la mise en scène à la comédie. Cependant son métier c’est clown. C’est le métier, selon lui, de ceux qui savent voir dans l’autre, l’autre face de la médaille.

TU M’APPRENDRAIS PAS UN PEU ?

(Ce numéro 275 de Juin 2006 est disponible - tel 01 53 34 03 31)


Alberto, il y a des années que nous nous connaissons, nous avons joué plusieurs pièces ensemble : Shakespeare, Victor Hugo, un spectacle George Sand où tu faisais des marionnettes, mais avant tout, Alberto tu es clown, tu fais partie de la famille du cirque. Je voudrais que tu me racontes la genèse de ta carrière, de ta vie. Qui est ta famille ? Comment devient-on clown ? Le devient-on vraiment ?

Alberto Colombaïoni
Ça c’est la question terrible, le dilemme hamlétique. Être ou ne pas être clown. Je crois que clown, on l’est par nature. Ce n’est pas vraiment un métier, c’est une mentalité. Dans ma famille, la tradition était l’acrobatie. Mon père était acrobate. Je suis devenu clown par hasard. À 17/18 ans, j’étais acrobate. Le clown, c’était mon oncle. Il faisait le clown parce qu’il fallait bien que quelqu’un le fasse et qu’il était doué pour ça. J’aimais bien mon travail d’acrobate. Un jour, une troupe de clown très connue, “Il Salvadori ” a eu un problème. La femme du chef de la troupe s’est cassé la jambe. Mais ils avaient un gros contrat : Ils assuraient la partie comique d’un programme quotidien de télévision  Todo in pista. “Pipi” , le chef de troupe cherchait un remplaçant. Il a dit à mon père  : «Ton fils est acrobate, mais il est peu clown aussi ?».
« Acrobate oui, mais clown pas à ma connaissance ! ». «Mais je l’ai vu une fois faire une entrée ! ».  «Je ne m’en souviens pas !». «J’aimerais que tu me le prêtes !». «Pour quoi faire ?... ».
C’était une troupe de clowns musicaux. Tous jouaient d’une manière fantastique de plusieurs instruments et moi pour la musique, je suis une cloche cassée.
“Pipi” m’a testé sur une parodie de Guillaume Tell. Il a tout essayé, même les cymbales, c’était horrible : «Si on te suis, tout est perdu !». «Moi j’aime bien l’idée de ce type qui joue dans un orchestre et qui est une catastrophe. Pourquoi ne pas en faire quelqu’un qui est vraiment une catastrophe et que les autres essayent d’arrêter» a suggéré quelqu’un. Ils ont donc adapté leur entrée à mon talent très spécial. Je m’essayais à tous les instruments. Je me cachais dans le piano qui explosait. Un tuba me tombait sur la tête. Et je terminais en disparaissant dans la fosse. C’est comme ça que je suis devenu le spécialiste des entrées  ratées. Cela m’a suivi toute ma vie.
Le chapiteau du cirque de mon père avait brulé pendant la guerre. J’avais débuté dans une arène. Là, j’avais appris le contact direct avec le public. J’ai toujours gardé cette complicité. “Pipi” me disait : «Alberto, tu es un vrai clown. Tu ne connais pas la musique, mais tu es capable de te tirer de n’importe quelle situation». J’ai travaillé avec eux pendant trois ans. Hélas, une voiture m’a renversé et je me suis retrouvé à l’hôpital ; hélas, c’était le jour où  toute la troupe partait pour Las Vegas. Après deux mois d’hôpital, je me suis mis à gagner ma vie comme clown acrobate. Carlo (mon futur beau-frère) travaillait comme moi dans une grande troupe. On en a eu vite assez. Tous les deux, on a créé un petit cirque, un cirque à deux. On se déplaçait en camionnette de village en village. Cela marchait bien.  On a eu de moins en moins besoin de se déplacer, les gens venaient vers nous. C’est nous qui changions de spectacle tous les jours.
À cette époque, Dario Fo cherchait deux clowns acrobates qui soient aussi acteurs. Il est venu nous voir :
«C’est vous que je cherche depuis toujours». On a passé les deux années suivantes avec lui. Avec Dario, on a compris que toutes les choses que nous faisions au cirque fonctionnaient très bien au théâtre avec une légère transformation. On a compris les différences de rythmes, de costumes, de lumières etc…
Au Danemark, à la fin de la tournée, il y a eu une soirée spéciale avec des producteurs, des metteurs en scène, des artistes. Chacun faisait quelque chose. Tous parlaient toutes sortes de langues. Il n’y avait que nous deux pour parler italien.
Carlo a dit : «Dario, si tu veux, on peut faire quelque chose, moi et  Alberto !». «En quelle langue ?». «En Italien !». «Bon alors, pas trop long !».
Le succès a été tel que Dario nous a demandé de continuer. On a enchaîné avec “la banane et la bouche ouverte”, qui plus tard est devenu le final du spectacle qu’on a baladé dans le monde entier.
À la fin du spectacle quelqu’un nous a demandé : «Vous avez de quoi faire un spectacle complet ?». «Bien sûr» . (En réalité on n’avait que ces deux sketches). «Je vous engage, l’année prochaine pour un mois». On est rentré en Italie et on a préparé le spectacle, on le testait dans l’arène. Cela marchait très bien. L’année suivante on est reparti au Danemark. Et de fil en aiguille, on a joué en Finlande, en Suède, et en Norvège, cela a duré quatre ans. Le tout en Italien.
À Lausanne, quelqu’un nous a demandé une pièce dans le genre de ce qu’il avait vu. C’était en 68/69, époque où  Orlando Furioso  avait un grand succès. On a proposé un spectacle qui s’appellerait Orlando Curioso. Avec les quatorze acteurs de la troupe de Lausanne, on a écrit une parodie de La Chanson de Roland . On devait faire trente représentations, on en a fait cent quarante-deux.

Comment se fait-il que l’on vous appelle “les clowns de Fellini” ?
Fellini adorait les “Colombaïoni” pour une raison simple. À l’époque où il écrivait La Strada, le cirque du père de Carlos était à côté de Cinecitta. Fellini venait tous les jours voir ce qu’on faisait, ce qu’on disait, ce qu’on mangeait, comment on s’habillait, les répétitions etc.  (Dans la famille, on le prenait pour un fou). Tout naturellement, quand il a tourné, il a voulu les gens du cirque dans son film.

C’est un bel hommage aux ”Colombaïonis”.
Oh tu sais La Strada pour nous n’était pas un bon film. Nous, les gens du cirque, on pense aux paillettes, on pense aux feux de la rampe, à être beau, pas méchant, pas ivre, pas sale. Enfin, on était  payé…
Quand La Strada a eu l’Oscar, quelqu’un a dit, : «Les Colombaïoni t’ont porté bonheur !». Fellini a toujours été très superstitieux, cela lui est entré par une oreille et cela n’en est jamais ressorti. On est devenu ses clowns fétiches.

Comment toi clown fétiche as-tu pu oublier à tel point ton destin ? Comment es-tu devenu un acteur ordinaire ?
Les clowns sont des acteurs ordinaires. Le clown est l’identification du peuple. Chacun, les pauvres surtout, les ouvriers, les gens de la rue, s’identifient très facilement au clown. Le clown, c’est celui qui subit. C’est lui qui prend les gifles, c’est lui qui tombe. Il tombe souvent, mais il se relève toujours. Même mort, il se relève, il s’envole. Les dictateurs passent, le peuple reste. Moi qui suis un peu clown par nature je ne suis un peu sérieux que quand je suis en scène.

Derrière un clown, Il y a un acteur au naturel ?
Le clown regarde des deux côtés de la médaille. Il essaye de découvrir un monde parallèle. Tu n’as jamais essayé de regarder le film de l’autre côté ? J’ai fait des « avant-spectacles »(spectacle de variété que l’on faisait avant le grand film). On faisait ça de deux heures à minuit jusque dans les années soixante. Mais que faisait-on pendant la projection du film ? On voyait le film d’une manière différente, à l’envers !

La couverture de ce numéro est un de tes tableaux. Pourquoi le clown est-il devenu un peintre ? *
Les cirques travaillaient de villages en villages, les enfants n’avaient pas le temps d’aller à l’école. Mais quand ma mère a eu des enfants elle a tout fait pour que nous y allions. J’ai fait les Arts et Métiers. On apprenait à travailler le bois, le métal, l’électricité, la plomberie selon la discipline que l’on choisissait. Comme j’aimais ça, j’ai pris toutes les disciplines. Je passais neuf heures par jour à l’école et en plus le soir, j’étais au cirque.
À cette époque, j’ai connu un petit garçon de 11 ans, Gianni. Je crois qu’il enviait mes acrobaties. Un jour, je l’ai aperçu sur un marché avec un chevalet. Il était en train de faire un tableau (que j’ai à la maison d’ailleurs). C’était beau. «Tu m’apprendrais pas un peu ?». «Oui, si tu m’apprends l’acrobatie».

Mais quand avais-tu le temps ?
Le week-end, je l’emmenais à la piscine, au tennis. Et lui m’apprenait la peinture, la perspective. On est resté amis toute notre vie. Il a la chaire des Beaux-Arts à l’Académie de Rome.

Serais-tu devenu plus peintre que clown ?

On est artiste sur la piste dix minutes par jour. Mais les vingt-trois heures cinquante minutes qui restent on est aussi artiste parce qu’on arrive à survivre.

Propos recueillis par Michel Pilorgé

*Couverture du numéro 275 de Juin 2006

275_uctm

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